Je suis arrivé en avance au restaurant La maison de Verlaine, 39 rue Descartes , pensant que suite à ma réservation par téléphone et l’étrange bruit du combiné téléphonique suite à la divulgation de nos identités, il serait préférable de s’assurer que le restaurateur avait bien pris en compte cette réservation.
Il avait une tête genre tête de veau sympathique, ce restaurateur.
Moi : Bonjour Monsieur, j’ai réservé tout à l’heure, par téléphone, pour deux personnes, à 12h30
Le restaurateur : oui, à quels noms ?
Moi : Verlaine et Krantz
Le restaurateur : ah ? ce n’était pas une blague ?
Moi : non, pourquoi ?
Le restaurateur : bien, vous savez… les noms…
Moi : je sais, c’est peut-être un peu troublant, mais c’est la vérité, je m’appelle bien Verlaine, Philémon Verlaine et mon compagne s’appelle Krantz, Céline, Céline Krantz, elle ne va pas tarder à arriver, elle sort de ses cours, elle est à la Sorbonne, en Lettres Classiques.
Le restaurateur (d’un air dubitatif) : Oui… bon… si vous voulez bien vous installer en attendant, prenez place
Il était environ 12h30, et si dehors le soleil brillait au firmament, dans ce restaurant une sorte de profondeur du 19ème siècle aspirait les improbables clients dont je m’apprêtais à faire partie
Je me suis installé sur une table, au fond du restaurant, près d’un mur de pierres anciennes, endroit sombre éclairé par une multitude de lampes au style suranné et décoré de tableaux et portraits plus ou moins improbables.
Céline est arrivé avec un air quelque peu contrarié
Moi : ça ne va pas ma chérie ? qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle : ?!!!!!!??????!!!!
Le coup de « ma chérie », ça l’a interloquée grave
Elle : heu… non… ça va ! et toi ?
Moi : ça va, mais ne t’inquiète pas, si je t’ai appelée « ma chérie », c’est parce que j’ai fait croire au restaurateur qu’on était en couple, je lui ai fait une blague
Elle : puuuuuf
Moi : de plus, je lui ai dit que tu t’appelais Cécile, Cécile Krantz.
Elle : ?????!!!!
Que pouvait-elle rajouter à ce que je venais de lui sortir… rien, probablement, d’où son silence (elle ne savait pas qui était Eugénie Krantz, malgré ses études en Lettres à la Sorbonne…)
Moi : bon, tu as faim ? on demande la carte des menus ?
Elle : oui j’ai faim, demande la carte
Je la connaissais à peine, notre rencontre l’avant-veille au soir dans cet autre café-restaurant du haut de la rue Lepic, puis notre nuit passée chez elle, dans son appartement d’étudiante
Un serveur nous apporta la carte, nous demandant si nous désirions un apéritif, chose que l’on déclina, nous étions affamés.
Moi : s’il vous plaît monsieur ! nous avons choisi, je prendrai un steak frites, cuisson à point le steak, et toi ma chérie, tu as choisi ?
Céline : je prendrai une salade de gésiers, s’il vous plaît, merci
Le serveur : vous désirez boire quelque chose ?
Moi : tu veux boire quelque chose ma chérie ? (j’hallucinais, elle ne disait rien que je l’appelais « chérie »)
Céline : oui, je veux bien, du vin rouge, c’est possible ?
Moi : vous avez la carte des vins ?
Le serveur : vous avez la carte des vins sous vos yeux…
Moi : ah oui… pardon, bon… donnez-nous un pichet de rouge, le moins cher. Merci (je sais, c’est pas classe… le coup du pichet, mais bon.. c’est moi qui allait régaler à la fin…)
Le restaurateur : en combien le pichet ?
Moi : un 3/4, n’est-ce pas chérie ?
Céline : oui oui
Le serveur : très bien monsieur, monsieur comment déjà ?
Moi : Verlaine, Philémon Verlaine
Le serveur avait dû se passer le mot avec son patron… que je m’appelais Verlaine
il était 12h45, la commande était prise
Céline posa sa main sur la mienne
Céline : Philémon, tu me fais rire, je crois bien que je t’aime , tu es bizarre, mais tu es marrant, et tu es mignon
Oula ! oulala ! elle attaquait grave la Céline, que je me disais dans ma tête
Moi : toi aussi tu es belle
moi (2) : tu es même très belle, tes yeux sont comme des amandes et tes cheveux comme les voiles d’un trois mâts de la Royale (je sais, c’était pas flonflon de dire ça, mais bon… j’improvisais à la va-vite…)
(Je me rends compte que je ne vous ai toujours pas donné la description précise du physique de Céline Fournier à part, celle donnée par le « barman » du Coq Rico (voir un post précédent) à savoir : elle est brune, cheveux longs, yeux clairs).
eh bien, il s’était trompé le « barman » du Coq Rico, rue Lepic
ou alors, il était con comme un peigne, ça devait être ça, le « barman » du Coq Rico était con comme un peigne
enfin bon, peu importe, Céline était là, en face de moi, prête à manger sa salade de gésiers et moi mon steak frites me faisait de l’œil
Je me disais que Paul Verlaine aurait aimé que son Eugénie soit ma Céline, que sa Krantz soit ma Fournier, je me disais tout ça, et je la regardais manger sa salade de gésiers, elle était belle.